mardi 23 juillet 2013

La traque aux derniers nazis relancée en Allemagne

Source : Le MONDE

la campagne lancée par le Centre Simon-Wiesenthal. | DR/Centre Simon-Wiesenthal

"Tard, mais pas trop tard". C'est par ce slogan qui s'affiche à partir de mardi 23 juillet dans les grandes villes allemandes que le Centre Simon-Wiesenthal relance une ultime campagne pour traquer les derniers criminels nazis, soixante-huit ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Les affiches montrent une photo en noir et blanc de l'entrée du camp d'extermination nazi d'Auschwitz-Birkenau, sous le titre "Opération dernière chance".
"Des millions d'innocents ont été assassinés par des criminels nazis. Quelques-uns des auteurs [de ces crimes] sont libres et en vie ! Aidez-nous à les faire comparaître devant la justice", peut-on y lire. Suit un numéro de téléphone. Une récompense allant jusqu'à 25 000 euros est promise pour toute information d'importance par l'ONG, qui établit notamment chaque année une liste des anciens bourreaux du Troisième Reich les plus recherchés.
"Nous n'avons plus beaucoup de temps. Deux ou trois ans au maximum", explique l'historien Efraim Zuroff, directeur du Centre Simon-Wiesenthal en Israël et l'un des "chasseurs de nazis" les plus connus dans le monde. L'opération vise à découvrir de nouvelles affaires dont les autorités n'ont jusqu'ici pas eu connaissance, selon le Centre. "Nous espérons recevoir des indices sur des gens qui ont travaillé dans des camps de la mort ou servi dans des Einsatzgruppen", poursuit M. Zuroff, joint en Israël. Selon lui, une soixantaine de personnes pourraient être poursuivies, alors que les crimes nazis sont imprescriptibles en Allemagne. "Il y a eu environ 6 000 personnes qui ont travaillé dans les camps ou les Einsatzgruppen", détaille l'historien. "On estime que 2 % d'entre elles sont encore en vie, soit 120 personnes, et la moitié ne peuvent pas être poursuivies, pour des raisons médicales, cela fait donc 60 restant."
Deux cas, en Hongrie et en Allemagne, ont récemment montré que la quête de justice ne connaissait pas de répit. A la mi-juin, le parquet de Budapest a mis en accusation Laszlo Csatari, 98 ans, pour son rôle présumé dans la déportation de 12 000 juifs vers les camps de la mort. Le vieillard, qui nie les accusations, avait été arrêté il y a un an après que la justice hongroise eut été alertée par M. Zuroff. Son procès devrait commencer à la mi-septembre.
"LE TEMPS NE DIMINUE PAS LA CULPABILITÉ"

En Allemagne fut interpellé au début de mai Hans Lipschis, 93 ans, soupçonné de complicité de meurtres dans le camp d'Auschwitz où il aurait été gardien. Le nonagénaire affirme qu'il y était cuisinier. Son arrestation a réveillé un débat en Allemagne sur le sens d'une justice aussi tardive. Certains ont évoqué leur malaise de voir poursuivis des vieillards quasi grabataires.

L'ancien gardien du camp de Sobibor John Demjanjuk, condamné en 2011 à cinq ans de prison et mort un an plus tard, avait ainsi comparu en chaise roulante ou sur un brancard – une mise en scène selon certains. Son verdict a créé une jurisprudence sur laquelle compte le Centre Simon-Wiesenthal : en tant que garde à Sobibor il fut jugé coresponsable des meurtres qui y furent perpétrés, malgré l'absence de preuve et de témoin.
Un "principe soviétique, et non démocratique", qui laisse une "amertume" dans la bouche d'un autre célèbre chasseur de nazis, l'avocat français Serge Klarsfeld. "La justice allemande est aussi docile que dans les années 1950-1960", analyse-t-il. "A une époque où on pouvait juger les criminels, l'Allemagne n'a pas fait son travail. Aujourd'hui, on veut les juger, mais il n'y en a plus." Me Klarsfeld souligne que les éventuels nazis encore en liberté étaient très jeunes durant la guerre, et occupaient donc des fonctions subalternes, pour lesquelles il ne reste pas de trace.
Mais pour M. Zuroff, "le temps ne diminue pas la culpabilité de ces tueurs". "En trente-trois ans de chasse aux nazis, je n'ai jamais vu un nazi dire qu'il était désolé", a-t-il ajouté. "Ne voyez pas dans ces gens de vieux hommes fragiles, mais pensez qu'à l'apogée de leur force physique ils ont déployé toute leur énergie à tuer des hommes et des femmes innocents", poursuit-il. Depuis le procès des principaux responsables du Troisième Reich à Nuremberg (1945-1946), 106 000 soldats allemands ou nazis ont été accusés de crimes de guerre. Quelque 13 000 ont été jugés, et la moitié d'entre eux condamnés, selon l'Office allemand chargé d'élucider les crimes nazis, sis à Ludwigsbourg. Quelque 6 millions de juifs ont été exterminés par les nazis.