jeudi 25 juillet 2013

La dissolution de l’Œuvre française, terminus d’une aventure fasciste

Source: Rue 89

Histoire 24/07/2013 à 16h11

La dissolution de l’Œuvre française, terminus d’une aventure fasciste

 

Les présidents de l’Œuvre française, Yvan Benedetti, et des Jeunesses nationalistes, Alexandre Gabriac, lors d’une conférence de presse le 21 juin 2012 à Lyon (Philippe Juste/Maxppp)
A l’issue du conseil des ministres, Manuel Valls a annoncé ce mercredi la dissolution de deux groupes fascistes : l’Œuvre française et les Jeunesses nationalistes.
Le premier, fondé en 1968, a eu son heure de gloire dans les années 70, une époque où ses militants couvraient les murs de la fameuse croix celtique ; le second est sa prolongation paramilitaire.

La photo qui a conduit à l’exclusion de Gabriac, à droite
L’Œuvre française est devenue le refuge des amis de Bruno Gollnisch qui ont été exclus par Marine Le Pen du FN. Yvan Benedetti, ancien bras droit de Gollnisch, dirige l’Œuvre française, mais sa star est Alexandre Gabriac, conseiller régional Rhône-Alpes élu en Isère, exclu du Front après la diffusion d’une photo où on le voit faire le salut nazi.
Manuel Valls, pour justifier la dissolution de l’Œuvre française, a expliqué qu’elle était « une association qui propage une idéologie xénophobe et antisémite, des thèses racistes et négationnistes, qui exalte la collaboration et le régime de Vichy, et qui rend des hommages réguliers au maréchal Pétain, à Brasillach ou à Maurras ».
Mais à vrai dire, ce n’est pas très nouveau. L’Œuvre française a toujours été ouvertement raciste, antisémite et révisionniste. Dans les années 90, son fondateur Pierre Sidos pouvait clamer sans que l’Œuvre soit dissoute : « Pour moi, un Français, c’est un Blanc ! » Il fut un temps où l’Œuvre française flirtait même avec le terrorisme.
La nouveauté, c’est la médiatisation récente de l’Œuvre française et de sa branche jeunesse. Alexandre Gabriac a ainsi eu les honneurs de M6, de France 2 et de Canal+. « Une médiatisation sans commune mesure avec l’importance de son groupuscule », constate Rue89 Lyon.

Qui est Pierre Sidos ?

L’Œuvre française est au départ une affaire de famille. Pierre Sidos est le fils d’un collaborateur issu des Jeunesses patriotes, François Sidos, fusillé à la Libération. Avec ses deux frères et quelques autres fascistes, il a co-ondé le parti Jeune Nation en 1949, qu’il a dirigé.
C’est à partir de ce moment qu’apparaît la croix celtique comme symbole de l’extrême droite, succédané de la swastika, symbole interdit. La croix figurait, sous Vichy, sur les bérets et papiers à en-tête des « équipes nationales », mouvement de jeunes pétainistes. Mais c’est Jeune ? ation qui en a fait le nouveau symbole post-Seconde Guerre mondiale du nationalisme en Europe. La croix a été reprise par de nombreux mouvements depuis.

Le cousinage des logos de l’extrême droite
Jeune Nation, dont l’objet affiché est de renverser la République, est dissout en mai 1958 par un décret du gouvernement Pflimlin, à la suite du putsch d’Alger. Sidos essaie de le faire renaître, sous le nom de Parti nationaliste, mais ce nouveau groupuscule est de nouveau dissout. Puis il participe à la naissance d’Occident, avant d’en être exclu.

Pierre Sidos jeune
Sidos a également fricoté avec l’OAS pendant les années 60 (ce qui lui a valu de faire un peu de prison). Il a même été impliqué dans l’attentat du petit Clamart : il reconnaît lui-même avoir rencontré le colonel Bastien-Thiry, qui a organisé l’attentat, et lui avoir fourni des armes.
Puis, en 1968, il fonde l’Œuvre française. Le 6 février, bien sûr.
Un homme avec une tête de monsieur Tout-le-monde, parlant avec des formules onctueuses et policées, mais toujours nauséabondes. Il ne dit pas ’« les médias » mais « les grands moyens de communication sociale » et pour dire « des juifs », il cisèle ses mots ainsi : « les personnes qui se réclament du groupe socioculturel israélite ». Un peu comme Le Pen, dont il est de la même génération (il est né en 1927, un an avant Le Pen) et avec lequel il était ami dans les années 50.
Sidos organise son mouvement de façon paramilitaire, avec des « camps-écoles » nationalistes pour former ses troupes. La carte de membre de l’Œuvre française comporte des gommettes qui sont autant de citations de bravoure ou de dévouement :
  • vertes pour ceux qui ont fait un « camp-école » ;
  • jaunes pour ceux qui ont fait un don important ;
  • bleues pour ceux qui ont assisté au congrès annuel ;
  • rouges pour les sacrifices « de sang ou de liberté ».

La carte de membre à l’Œuvre française (Capture d’écran de l’INA)
En 1981, l’Œuvre française était le parti le mieux organisé à l’extrême droite, selon cette enquête (vidéo ci-dessous) de l’époque consacrée aux fascistes européens.
« L’ordre noir », enquête de 1981
A partir de 15’
Dans les années 1990, plusieurs sympathisants de l’Œuvre française ont été soupçonnés de préparer un attentat contre Patrick Gaubert, vice-président de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et conseiller de Pasqua (à ne pas confondre avec son frère Thierry, le mis en examen de l’affaire Karachi).
Des sympathisants de l’Œuvre française soupçonnés d’un attentat contre Patrick Gaubert
Journal de France 2 de 1993
Ce sont également des sympathisants de l’Œuvre française qui ont tué Brahim Bouarram, poussé dans la Seine lors d’une manifestation FN à Paris le 1er mai 1995.
Yvan Benedetti a succédé à Sidos à la tête de l’Œuvre française en février 2012. Bras droit de Gollnisch, conseiller municipal FN de Vénissieux, Benedetti s’est déclaré un jour « antisioniste, antisémite, antijuif ». Une déclaration qui a conduit à son éviction du FN.
Avec Alexandre Gabriac, autre exclu du FN, il a fondé les Jeunesses nationalistes en octobre 2011, prolongement paramilitaire de l’Œuvre française.
C’est cet autre groupuscule qui a été dissout ce mercredi par décret. Valls a présenté les Jeunesses nationalistes comme une organisation « qui propage elle aussi la haine et la violence, qui exalte la collaboration, qui rend hommage à des miliciens ou à des Waffen SS, avec pour certains de ses membres aussi des saluts hitlériens. Les JN sont en quelque sorte la branche activiste de l’Œuvre française ».
Gabriac a aussitôt réagi sur Twitter.
Pierre Sidos, 86 ans, n’a quant à lui rien renié de ses passions de jeunesse. Dans une longue interview accordée à David Doucet pour la revue Charles, il décrit Hitler comme « le Napoléon allemand », Mussolini « le dernier des Césars » et parle du « mythe de la Shoah ».